* CLAIRE



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Alors que tout paraissait pourtant évident, Claire est une femme. Une jeune trentenaire ayant décidée de faire de sa vie un Art de vivre.
Tout droit diplômée des Beaux Arts de Montpellier, cette discrète plasticienne au cœur méditerranéen aurait pu se contenter d’appliquer son talent du lundi au vendredi de 10h à 19h. Cependant son appétit artistique et sa conception de l’art en a décidé autrement.

En effet, Claire s’est engagée dans une démarche artistique au quotidien. Un job dans un univers créatif, en harmonie avec ses compétences, lui permet d’œuvrer pour un salaire nécessaire à tous. Appliquer de nouveaux concepts, investiguer de nouvelles voies, développer sa créativité, travailler en équipe et s’enrichir de toutes expériences en cultivant un même langage, l’Art.

Mais parce que cette créativité qui l’anime l’y a poussée Claire s’affirme en solo, et en parallèle, avec deux projets pour le moment bien distincts.

Claire, pour le premier, où la plasticienne construit un univers personnel et captivant élaboré sur des archives photographiques personnelles. Superposant, par fractions, ses images les unes avec les autres pour façonner des petites fictions dignes d'univers cinématographique et créer ainsi des ambiances inoubliables.

Puis, d’autre part Claire construit une œuvre sans précédent, qui débuta sans signature aucune, pour s’affirmer aujourd’hui comme le projet Duetto X signé d’un clairestreetart.com affranchis.

Ma première rencontre avec le travail de Claire date du 23 mai 2009. Obturateur aux aguets je découvrais, avec stupéfaction, un couple enlacé, dans les faubourgs de la Bastille. A l’écart de la route, comme le ferait n’importe quel couple d’amoureux (visuel 2). La surprise passée, mon premier sentiment fut le bonheur d’avoir vécu quelque chose de grand. Un moment particulier, sans équivalence aucune. Arrive aussi une sorte de gène d’observateur impudique, où l’on s’interroge sur le voyeurisme et sa possible perversité.

De retour, at home, je me devais de partager ce moment au travers d’une de ces chroniques quotidiennes dont j’étais devenu l’auteur pour loveonthewall.
C’est au cours de la visualisation des différentes photographies qu’est née une vraie joie. Constater, par une voie nouvelle, que l’amour était toujours visible dans les rues de notre pays. Cet état est tellement naturel que nous oublions souvent qu’il n’est pas permis partout. Se donner la main en public, est pour un couple une possibilité récente au Vietnam. Cette position naturelle d’être dans les bras de l’autre quelque soit le lieu est encore toujours prohibé dans de bien trop nombreux pays. Cette situation étant considérée comme un vrai signe de liberté. Inversement, comme à Cuba, où pouvoir se promener main dans la main, dans le cadre de coup de foudre avec la population locale, se monnaye et participe au business qui fait défaut dans le pays.

Découvrir qu’un artiste était habité par cette idée au point de vouloir la partager, l’exhiber, pour le coup l’afficher était à mes yeux quelque chose de fantastique. S’il m’était acquit depuis longtemps qu’à la vue d’une œuvre des sentiments parfois démesurés pouvaient naître, j’étais apaisé d’avoir à nouveau vécu cette expérience.
Quelque soit votre âge, votre sexe, votre religion ou votre nationalité, l’art que nous propose Claire atteint chacun de nous pour ne laisser personne indifférent. Lors de la rencontre naît une profonde interactivité avec le passant qui se trouve impliqué directement avec l’œuvre dévoilée. Le spectateur est pris à partie au plus profond de lui pour un imparable transfert.
Mélancolie pour les plus anciens, rêves pour les plus jeunes, fantasmes pour les uns, bien être pour d’autres. Espérance, ou rejet. Rarement un travail de rues n’aura été aussi bien intégré dans nos villes. Le processus développé et mis en place fonctionne à merveille dans de nombreuses situations, voir positions.

Pour en appréhender la juste mesure Claire possède un magnifique site Internet qui propose l’ensemble des œuvres construites et mises en situations, véhiculé par un travail photographique et une mise en page de qualité (voir lien en bas de page).
En deux ans loveonthewall a accumulé nombre de photographies des œuvres collées par Claire , à Paris et à Montpellier. Chaque œuvre est unique. Découpée et colorisée à la main. Préparée avec un grand soin.

Et pour cause, la source même de ces couples n’est autre que son entourage. Ses proches, ses amours, ceux qui partage la vie de Claire , la jeune trentenaire de talent. La plasticienne fait intervenir ses proches pour de mémorables séances photographiques. Chaque couple prend la pause jusqu’à une sélection finale qui sera immortalisée au cours d’un processus de fabrication artisanal.

Il est aisé de rattacher ce travail à celui de la bande dessiné et aux principes de la ligne Claire . Si Manara est la référence première pour la ligne générale des personnages et le simple rapport au sexe, nous pouvons aussi citer Cosey pour la beauté artistique épurée et une colorisation très exceptionnelle. Avoir réussi à développer un univers autour de la femme, et du couple, est sans conteste le point commun qui hisse Claire au niveau de ces pères.
Si le street art est un art éphémère il n’en restera pas moins gravé à tout jamais dans certains cœurs. Claire peuple la ville par ce qu’il y a de plus beaux dans l’humanité. La vie, le couple, l’amour. Un message d’union et de paix intemporel.






- Le street art est un milieu très masculin, et beaucoup de femmes accèdent à une reconnaissance artistique alors qu’elles s’affichent en duo. Que pouvez-vous nous dire de votre situation de femme artiste (seule) dans cet univers très Males ?

Certes, il y a beaucoup plus d'hommes dans le street art mais le fait que je sois une femme ne change, pour moi, rien en ce qui concerne mon travail. Je ne pense jamais à ça. Il n'a aucune vocation féministe ou revendicatrice. Je suis artiste comme un homme peut l'être. Il y a plus d'hommes dans le street art comme dans l'art en général….
Les femmes ne sont présentes dans ces domaines, et dans beaucoup d'autres, que depuis le 20ème siècle. Et il y en aura de plus en plus.

- Avez-vous trouvé ce vous souhaitiez aux Beaux Arts ?

Je crois que parmi les écoles d'art c'est celle qui me convenait le mieux. Les Beaux Arts permettent une vraie liberté de créer. Je n'ai jamais eu de doute quant au choix de cette 'discipline', j'étais dans mon élément malgré une certaine résistance au départ contre la conceptualisation de tout, la discussion sur tout. Devoir tout expliquer, tout décortiquer ... mais cela m'a aidé à n'en garder que l'essentiel, à le débarrasser de ses artifices et ses automatismes, en tous cas d'y faire des choix pour être au plus juste. Lorsqu'on sort des Beaux Arts soit on passe à autre chose soit on continue de produire. Je suis revenue un peu à mes préoccupations du début en trouvant enfin les moyens de les réaliser.

- Lors de notre première rencontre il a été question d’un grand intérêt pour le tableau the Kiss de Gustav Klimt. Qu’en est-il exactement ?

J'ai toujours vu l'affiche de ce tableau et aujourd'hui elle a des résonances particulières précisément par rapport au projet Duetto X. Le couple, l'enlacement, le motif, l'aplatissement de la figure. Ces images vues et revues pendant l'enfance s'impriment et forment notre imaginaire. Je me suis rendu compte tardivement de l'influence des peintres que je regardais bien avant d'être aux Beaux Arts et que j'avais lâché au profit d'artistes plus contemporains. Aujourd'hui ce sont ces peintres que je (re)regarde à nouveau. Magritte, Hockney, Hopper pour les plus modernes. Et je vois l'importante influence qu'ils ont eu dans le développement des images qui me suivent mentalement. J’ai mis du temps à me rendre compte que j’aimais vraiment la peinture.

- J’ai remarqué, dans votre atelier, la photographie d’un portrait de Francis Bacon. Le peintre fait-il partie de vos références ? Quelles influences aurait-il eu dans votre démarche de plasticienne?

Il y a eu une grande rétrospective à Beaubourg en 1997 ou 98. J'y suis retournée 3 fois. C'est assez difficile de mettre des mots sur ce genre d'expériences car elles font appel à des choses plutôt intimes et personnelles, compliquées à définir. Pourquoi ce peintre m'a bloqué à ce point, pourquoi tel tableau plutôt qu'un autre? En ce qui concerne Bacon, plus que l'aspect torturé de ses personnages, c'est plutôt la façon qu'ont ses personnages d'être dans ces fragments d'intérieurs qui m'a influencée. La figure humaine dans des décors à peine suggérés avec quelques repères spatiaux, une plainte, un coin de pièce, une ampoule.. Et puis, Francis Bacon. J'aime les artistes qui creusent la même voie sans cesse, qui cherche une chose, celle qui les obsède. Il était obsédé par la représentation de la figure humaine, la déformer pour la rendre la plus réelle et expressive possible. C'était son moteur, il ne pensait qu'à peindre ça. Et il se foutait de plaire.

 - La photographie occupe un espace important dans les différentes voies artistiques que vous développez, pour Clairestreetart.com et Claire Manent comment expliquez-vous cela ?

En général je travaille en plusieurs étapes.. Pour Duetto X, par exemple, il y a d'abord la prise de vue de couples qui posent et ensuite le dessin d'après la photo. Pour le reste, je compile des images, argentiques essentiellement, de voyages, de paysages, de proches sur le vif, de proches qui jouent les figurants… et je compose avec tout ça des "tableaux". Dans tous les cas la photographie me permet de collecter une masse visuelle et de travailler ensuite au calme. J'ai toujours travaillé ainsi, par couches. La photographie est le meilleur moyen de collecter des visuels. Le dessin aussi. Mais le dessin est pour moi un médium qui me permet de mettre en place des idées, des cadrages. J'utilise toujours un argentique et ensuite je passe au travail infographique avec des scans.

- Un portrait du photographe Richard Avedon est présent dans votre atelier, que pouvez-vous nous en dire ?

C'est un autoportrait. Il est très beau sur cette photo. Je suis beaucoup plus intéressée par ses portraits que son travail de photographe de mode. Des portraits noirs et blancs à la chambre, sur fond blanc à la lumière naturelle. Efficace.
Pour moi ce travail est parfait, il montre juste ce qu'il montre. Des gens. Tels qu'ils sont.

- Avec le recul et les matériaux suffisants, il est possible de constater que de l’anonymat du début (absence de signature) vous affichez aujourd’hui Clairestreetart.com et que les personnages au regard caché, se dévoilent de plus en plus. Qu’en pensez-vous ? En réalité ne pourraient-ils pas être votre propre reflet ?

Je montre ce que je montre. Je ne peux pas décortiquer plus. Les poses évoluent naturellement, sans réflexions particulières. Il n'y a pas grand chose à dire de plus que ce que l'on en voit. Ce sont des représentations de couples. C'est tout. Je ne parle pas de moi dans ce travail.

- Dans le mouvement Street Art la génération dont vous faites partie revendique une appartenance à un mouvement musical (hip hop, rap). Est-ce votre cas ? La musique a-t-elle une influence dans votre travail ?

Je ne revendique d'appartenance à aucun mouvement musical. J'écoute beaucoup de musique, je travaille toujours en musique, beaucoup de styles de musique différents. La musique a beaucoup d'influence dans mon travail photographique. Cela peut même être très intimement lié. Mais en ce qui concerne les couples pas vraiment. Elle m'accompagne dans la création mais n'influence pas d'ambiance ou de choix artistiques. Duetto X est un projet qui se fabrique lui même, presque automatiquement. C'est en cela que je ne vais pas puiser dans la musique pour l'alimenter.

 - Découvrir notre planète, des cultures différentes, des pays différents vous intéresse-t-il ? L’Art en est-il le moteur ?

Avec les couples, bouger est l'occasion pour moi de trouver des nouveaux décors pour placer mes personnages. Le voyage est toujours un moment où il se passe quelque chose. Les choses en elles mêmes ne changent pas mais la façon de les regarder et de les appréhender certainement. Alors, forcément cela a une influence sur la création. L'art n'est pas le moteur premier de mes déplacements mais à chaque fois, je collecte des images pour travailler. Je ne prends en général pas de photos du "folklore" local mais plutôt des détails, des ambiances, des paysages qui parfois aurait pu être pris ailleurs.

- Les pionniers du street art français que sont le groupe des 5 (Speedy Graphito, Miss Tic, Jef Aérosol, Mosko et Mesnager)  se sont fait un nom avec un travail de pochoiriste, votre génération, quant à elle, s’est détournée de cette démarche pour le collage. Qu’en pensez-vous ?

Il y a encore beaucoup de pochoirs. Aussi, Speedy Graphito a fait beaucoup de dessins au pinceau par exemple. Chaque idée impose d'elle même la technique qu'il va falloir utiliser. Je voulais des couples colorés, en aplat de couleur avec cette ligne claire. Les réaliser en pochoir n'était pas la solution alors le collage s'est imposé.

- A quand et à quoi ressemblaient vos première œuvres ? Dans quelles conditions ont-elles été élaborées ?

J'avais environ 17 ans. C'était très abstrait. De la peinture avec des collages d'images de journaux ou de morceaux de dessins. Des peintures sur des plaques de verre à la fois opaques et transparentes. C'était un travail de composition de forme et de couleur. Je cherchais un langage plastique. Après, il y a eu la peinture sur photographies où je redessinais des espaces sur des photos d'espaces... C'était encore très formel et purement plastique. Et ensuite des projections de diapositives de paysages projetées sur les murs de mon premier appartement et je prenais le tableau final en photo. C'est ce projet qui a marqué le début de la suite. J'ai travaillé longtemps sur l'espace seule et puis j'y ai ajouté la figure humaine, le figurant.




 - Beaucoup de street artistes travaillent à plusieurs, régulièrement ou ponctuellement. Je vous sais proche de Kouka, par exemple, et je n’ai jamais constaté d’œuvres communes ? Qu’en pensez-vous ?

J'ai fais la plupart de mes premiers collages avec Kouka. On partait en ballade avec ses guerriers et mes couples. Ses guerriers sont plantés là, aux aguets, seuls, en retrait. Mes couples ont besoin d'intimité. Alors chacun de nous cherchait des murs, pour l'un ou l'autre, pas les deux. Mais rien n'exclut qu'un jour on fasse un mur ensemble…

 - Quel retour public avez-vous eu de votre travail ?

Un très bon retour, beaucoup de contacts de beaucoup de pays et de tout âge. C'est un retour très spontané en général. La rue permet d’aller vite à ce niveau là. Les gens sont très réceptifs. C’est bien.

Claire, merci ...
Actuellement dans nos rues, à Paris et Montpellier




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Documents: Claire
Photo: Charlie Parcoeur
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